Selon un dossier de Christian Robert Page

 

Sainte-Marie-de-Monnoir (Québec), 20 novembre 1989

Les premières lueurs de l’aube commencent à poindre à l’horizon, lorsque Yvan Noiseux est tiré de son sommeil par une lueur bleue qui illumine sa chambre. Intrigué, il jette un coup d’œil à l’extérieur où il observe quatre grosses lumières rectangulaires qui se tiennent immobiles au-dessus de la maison d’en face (située à moins de 100 mètres). Ces lumières, qui ressemblent aux phares d’un véhicule tout terrain, éclairent tout le voisinage. Le phénomène dure un bref moment, puis, ensemble, les quatre lumières s’éteignent d’un coup, comme si quelqu’un avait coupé l’interrupteur. Mais voilà qu’elles réapparaissent bientôt avec la même intensité. Le témoin constate alors que celles-ci se sont légèrement déplacées vers l’Est. Les lumières referont cette séquence trois fois avant de disparaître définitivement. Le phénomène aura duré à peine deux minutes.

Au même moment, à un kilomètre de là, Jean-François Poulin, un jeune camelot de 16 ans, s’apprête à entreprendre sa tournée matinale. Tout à coup, il entend une vibration comme celle des transformateurs des centrales électriques. Le temps de courir à la fenêtre, il voit une « boule de feu » traverser le ciel très rapidement vers le Sud-Est.

Le petit village de Sainte-Marie-de-Monnoir, au sud-est de Montréal, est en train de devenir le théâtre de l’une des plus importantes histoires d’OVNI jamais rapportées au Canada.i

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Yvan Noiseux et Jean-François Poulin ne sont pas les seuls à observer des phénomènes lumineux au-dessus de Sainte-Marie-de-Monnoir en ce 20 novembre 1989. Alors que Yvan Noiseux regarde estomaqué le mouvement des « phares », à 100 mètres de là Daniel Galarneau et son épouse sont tirés eux-aussi de leur sommeil.

« À cette époque, se rappelle Daniel Galarneau, nous avions un enfant de six mois et — comme tous les parents qui ont un bébé à la maison — notre sommeil était très léger. Vers 5 h 45, moi et mon épouse avons été réveillés par un bruit fort, comme une sorte de vibration. Nous nous sommes carrément assis dans le lit. Nous venions d’emménager dans une maison neuve et il n’y avait toujours pas de rideau à la fenêtre de notre chambre. Nous pouvions voir qu’à l’extérieur tout était éclairé d’une lumière bleue, comme un néon. Cette lueur illuminait notre chambre et tout le reste de la maison. Le bruit de vibration a duré une quinzaine de seconde, puis s’est arrêté d’un coup sec, en même temps que la lumière. Nous nous sommes alors simplement recouchés. En pareilles circonstances, nous aurions dû nous lever pour aller voir à la fenêtre ce qui se passait à l’extérieur, mais nous ne l’avons pas fait. J’avoue que je m’explique mal encore cette réaction, ce manque de curiosité. C’est pour moi un mystère.

« Quoi qu’il en soit, le lendemain matin, vers 7 h 30, mon voisin d’en face, Yvan Noiseux, a téléphoné à la maison. C’est ma compagne qui a répondu. Il lui a raconté qu’aux petites heures du matin il avait vu d’étranges lumières au-dessus de notre maison, des lumières semblables à celles que les chasseurs installent sur les barres d’armature de leur véhicule 4X4. Au début, ni moi ni mon épouse l’avons pris au sérieux. Yvan est d’un naturel blagueur et nous avons cru qu’il s’agissait encore de l’une de ses plaisanteries. Mais cela n’avait rien d’une blague. » ii

Quarante huit heures après les manifestations lumineuses de Sainte-Marie-de-Monnoir, Daniel Galarneau découvre à l’arrière de chez lui, sur un terrain vague situé à la verticale de l’endroit où se tenaient les lumières observées par Yvan Noiseux, un cercle de 20 mètres de diamètre où l’herbe a reverdi… comme en été : un phénomène pour le moins singulier en cette fin de mois de novembre.

« Ce midi-là, un ami était passé à la maison pour dîner, ajoute Daniel Galarneau. Nous étions attablés quand il m’a fait remarquer qu’il y avait un “drôle de rond” dans le champ, juste derrière chez moi. Je me suis levé et je me suis approché de la porte-patio. C’était tout à fait surprenant. En 1989, il y avait derrière chez-moi un terrain couvert de foin sauvage. L’herbe atteignait peut-être une hauteur 3 pieds (1 mètre). Au milieu de ce champ, il y avait un cercle parfait où le foin était beaucoup plus foncé et couché, comme s’il avait été soufflé par un tourbillon. Autre curiosité : il tombait à ce moment-là une petite neige fine. Or, il y avait de la neige partout dans le champ, mais très peu sur le rond en question. C’était vraiment très étrange. En voyant cela, j’ai été si surpris que j’ai appelé ma compagne à son travail pour lui en parler. C’est elle qui a contacté les autorités. »iii

Informée, la Gendarmerie royale du Canada (détachement de Saint-Jean-sur-Richelieu) dépêche l’un de ses limiers : le sergent Antonio D’Angelo. Ce que le policier y découvre le laisse pantois. L’herbe est couchée comme si elle avait été soufflée par un immense ventilateur. Mais le plus étrange, c’est toute cette végétation redevenue verte au milieu de ce champ jauni par l’approche de l’hiver. Le rapport de la GRC est bientôt envoyé au Centre de recherche national, à Ottawa, où il est archivé en référence à un « objet non météoritique ». Les autorités ne pousseront jamais plus loin la curiosité.iv

Sur le terrain, des chercheurs amateurs prennent les choses en main. Dans les semaines qui suivent, des échantillons d’herbes et de sol sont acheminés au département de phytologie (étude des sols) de l’Université Laval, où le Dr Jacques Debroux procède aux premières analyses. Ses résultats sont renversants : les végétaux prélevés dans le cercle présentent un taux de chlorophylle dix fois plus élevé que la normale et l’azote, au niveau du sol, montre des valeurs quatre fois plus grandes.v Aucun phénomène connu — naturel ou artificiel — ne peut provoquer un tel changement subit. Quant à la possibilité d’une supercherie, celle-ci est à peu près exclu. Pour provoquer une telle réaction en cette période de l’année, il aurait fallu que l’individu à l’origine de cette farce aille injecter de la chlorophylle dans chacun des brins d’herbe, un à un.

« Il faut se rappeler que l’on parle ici d’échantillons qui ont été colligés en hivers, explique Jacques Debroux. Or, à cette saison, les sols sont généralement gelés. Dans ces conditions, on n’aurait pas dû observer ce genre de résultats. Je ne connais aucun phénomène qui aurait pu amener une mutation pareille entre les échantillons provenant de l’intérieur de la trace versus ceux colligés à l’extérieur du cercle. »vi

Un an après les tests originaux, une seconde analyse est effectuée sur de nouveaux échantillons de sol et de végétaux. Les résultats indiquent encore des taux d’azote et de chlorophylle anormalement élevés. À la même époque, un scientifique d’Environnement Canada, Valentin Furlan, se rend à titre personnel sur le site pour y cueillir à son tour des carottages de sol et des échantillons de végétaux. Ses analyses ne feront que confirmer les tests de l’Université Laval. On note d’ailleurs sur le site de la « manifestation » une végétation tout à fait atypique au reste de l’environnement : la « trace » — toujours bien visible — est couverte d’une espèce d’herbacé où pullulent les pucerons. Là encore, la phytologie s’avoue incapable de résoudre l’énigme. Par un procédé tout à fait inconnu de la science, le sol semble avoir été « re-dynamisé » de façon spontanée. Un mécanisme surprenant qui, maîtrisé, pourrait permettre de faire pousser des tomates dans le désert.vii

En 1999, l’Association des Sceptiques du Québec publie Y Croyez-vous, un ouvrage regroupant des textes pour la plupart déjà publiées dans son journal trimestriel Le Québec Sceptique. Cette association, qui prétend faire la promotion de l’esprit critique, est en réalité un regroupement de militants farouchement opposés au « paranormal ». Dans Y croyez-vous ?, deux de ses membres, Pascal Forget et Jean-René Dufort, racontent s’être eux-aussi intéressés aux événements de Sainte-Marie-de-Monnoir.viii Ils expliquent s’être rendus sur les lieux le 26 octobre 1996 (sept ans après les événements), où, déplorent-ils, ils n’ont vu aucune trace (il aurait peut peut-être fallu y penser avant) !!! Faisant fi de l’enquête de la GRC et des propos des témoins, ils proposent ensuite comme explication l’épandage d’engrais (ce que réfute M. Pierre d’Auteuil, le propriétaire du terrain), du gazon provenant d’un « sac de tondeuse vidé à cet endroit » et même des feux de Saint-Elme.ix MM. Forget et Dufort vont jusqu’à laissez sous-entendre que Jacques Debroux, responsable des analyses originales, se serait ravisé.

« Il y a quelques années, commente Jacques Debroux, j’ai été mal cité par les Sceptiques du Québec qui ont prétendu que j’étais revenu sur mes déclarations d’antan. Ce n’est absolument pas le cas. Ces gens m’ont téléphoné un soir et m’ont demandé mes commentaires sur l’affaire de Sainte-Marie-de-Monnoir. Ils étaient agressifs et cherchaient visiblement à me mettre en boîte. Non, je ne suis jamais revenu sur mes conclusions. Quinze ans après, je ne peux toujours pas expliquer les énormes différences constatées entre les échantillons “in” et les échantillons “out”. »x

La « trace de Sainte-Marie-de-Monnoir », comme l’ont surnommé les médias, est restée visible pendant des années (dommage pour MM. Forget et Dufort !). Certains amateurs d’OVNIS en ont fait même leur porte-étendard à l’appui de la réalité des visites extraterrestres. Sur le plan scientifique toutefois, l’affaire est plutôt décevante. Probablement à cause de son association avec les OVNIS, la trace de Sainte-Marie-de-Monnoir n’a jamais fait l’objet d’une étude exhaustive. Même si les analyses ont été réalisées par des scientifiques aguerris, la communauté scientifique n’a jamais manifesté le moindre intérêt pour cette histoire.

Plus de 15 ans après ces événements, les gens impliqués dans cette histoire gardent un souvenir intarissable de leur expérience. Pour eux, l’affaire de Sainte-Marie-de-Monnoir a été leur passeport pour l’inconnu et l’inexplicable ; une aventure pour le moins inhabituelle.

« Je suis très ouvert d’esprit, mais je n’ai pas la moindre idée sur la nature de ces événements, de dire Daniel Galarneau. Pour moi cela demeure un phénomène inexpliqué. Il y a des études qui ont été faites au niveau des sols par des spécialistes, lesquels ont concluent que c’était humainement impossible de provoquer ce genre de phénomène. Beaucoup de gens ont vu ces lumières. Il y a même des industries de la région qui ont rapporté des baisses de tension électrique dans leurs systèmes à l’heure du phénomène. Il y a aussi des témoins qui ont parlé de “feu” qui courait sur les fils électriques. Tout cela était vraiment très étrange et demeure inexpliqué. »xi

Si l’on en croit la littérature consacrée aux OVNIS, nombreuses sont les observations dites du deuxième type (caractérisées par une interaction avec l’environnement) où les enquêteurs rapportent des sols brûlés et des végétaux « appauvris » par la présence d’un OVNI. Plus rare sont les cas où les sols et les végétaux ont été re-dynamisés, comme dans le cas de Sainte-Marie-de-Monnoir. Au Québec, je ne connais qu’un seul cas semblable. Il m’a été communiqué par Marc Gionet, un ufologue de Nédelec (Abitibi). L’affaire remonte à 1972. Cette année-la, des témoins observent au-dessus d’un champ un grand objet en forme de « bol renversé ». L’engin reste stationnaire 4 ou 5 minutes avant de remonter dans le ciel où il disparaît dans les nuages. Peu après, les gens remarquent qu’à l’endroit survolé par l’OVNI la végétation est écrasée et forme un cercle parfait de plusieurs mètres de diamètre. Au cours des années qui suivent, une végétation tout à fait atypique se met à pousser sur ledit cercle (comme à Sainte-Marie-de-Monnoir) et à l’automne, lorsque l’herbe perd sa coloration verdâtre, le « cercle » continue de se démarquer, comme si tout l’environnement avait été stigmatisé par la présence de l’OVNI. Encore aujourd’hui — plus de 30 ans après les événements — le phénomène est toujours observable. xii

 

i Rapport préliminaire d’enquête (Christian R. Page), 29 novembre 1989

ii Entrevue avec Daniel Galarneau réalisé le 13 juin 2005

iii Entrevue avec Daniel Galarneau réalisé le 13 juin 2005

iv Rapport de la Gendarmerie royale du Canada daté du 19 décembre 1989

v Lettre de Ghislain Gendron (Université Laval) daté du 22 février 1990

vi Entrevue avec Jacques Debroux réalisée le 17 mars 2005

vii François Bourbeau, Les médias cachent la réalité OVNI au public (Les éditions du Collège Invisible, 1996), p. 125

viii Collectif (sous la direction de Pascal Forget), Y Croyez-vous ? (Les éditions Stanké, 1999), pp. 97-106

ix Collectif (sous la direction de Pascal Forget), Y Croyez-vous ? (Les éditions Stanké, 1999), pp. 101-102

x Entrevue avec Jacques Debroux réalisée le 17 mars 2005

xi Entrevue avec Daniel Galarneau réalisé le 13 juin 2005

xii Document d’enquête de marc B. Gionet

Selon un dossier de Christian R. Page

Parut sous le titre “OVNI à Ste-Marie-de-Monnoir“, Dossiers Mystère Tome 2 (Louise Courteau, 2008) p. 167-175

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