Selon un dossier de Christian Robert Page

 

Montréal (Québec), 7 novembre 1990.

Sans se presser, l’homme descend la rue Mansfield. De temps à autre il lève les yeux vers les nuages illuminés par d’étranges reflets jaunâtres. La scène a quelque chose d’insolite et d’irréel. Pourtant, les badauds qu’il croise ne semblent pas avoir relevé cette singularité.

Arrivé devant l’hôtel Hilton de la Place Bonaventure, l’homme, qui tient dans sa main un appareil photo 35 millimètres chargé à bloc, pousse les portes tournantes. Dans le hall il règne une fébrilité inhabituelle. Après avoir décliné son identité à un gardien de sécurité, il s’engouffre dans l’ascenseur et monte jusqu’à la terrasse supérieure.

L’hôtel Hilton se distingue par sa grande piscine aménagée sur son toit où l’on peut s’y baigner même en hiver. Mais pour l’heure, les amateurs de sports aquatiques brillent par leur absence. Pourtant l’endroit grouille de monde. Il y a là une trentaine de personnes : des clients de l’hôtel, des invités et même des policiers en uniforme. Tous ont les yeux rivés sur cet étrange objet volant qui se tient immobile au-dessus de leur tête.

Au sortir de l’ascenseur, l’homme est stupéfait. Pendant quelques instants il n’arrive pas à détourner son regard de cette grande masse sombre entourée de lumières ambre. Bien sûr, au bureau, on lui a bien dit qu’il y avait quelque chose d’étrange au-dessus de l’hôtel, mais de là à imaginer ça…

L’objet, légèrement incliné, ressemble à une sphère aplatie faite d’un métal sombre et poli. Tout autour des lumières ambre jettent des reflets jaunes et verts à travers les nuages, lesquels masquent maintenant toute la partie supérieure de l’OVNI.

Fébrile, l’homme place son appareil photo sur un point d’appui ; braque l’objectif sur la « chose » ; ajuste son temps d’exposition et tire un premier cliché… puis un deuxième et un troisième.

En appuyant sur le déclencheur, Marcel Laroche, un journaliste du quotidien montréalais La Presse, est loin de s’imaginer que ses clichés deviendront la pièce maîtresse de l’une des plus étonnantes observations d’OVNI de l’histoire du Canada.i

*

* *

Le 7 novembre 1990, vers 19 h, des usagers de la piscine de l’hôtel Hilton-Bonaventure, au centre-ville de Montréal, remarquent la présence d’un grand objet volant sombre et entouré de sept ou huit lumières ambre. L’objet est tout à fait silencieux et se déplace très lentement de l’édifice de la bourse vers l’hôtel Hilton.ii Pour certains, l’apparition rappelle ces OVNIS dépeints dans le classique « Rencontre du troisième type » (Close encounters of the Third Kind) de Steven Spielberg. iii Intrigués, ils en informent le personnel de soutien de la piscine qui à son tour en informe la direction de l’hôtel. Bientôt, la terrasse grouille d’une agitation particulière : tous veulent voir le mystérieux OVNI.

Vers 20 h, la direction de l’hôtel informe la police de la Communauté urbaine de Montréal (CUM) qui dépêche une auto-patrouille. L’agent François Lippé y débarque quelques minutes plus tard.iv Comme tous les témoins déjà sur place, il ne peut que confirmer la présence de l’objet. Ce dernier — à présent tout à fait immobile — est visible depuis maintenant près d’une heure. De par sa position inclinée, il commence à disparaître à l’intérieur de la couche nuageuse qui descend très lentement sur la métropole.

«Arrivé sur les lieux à 20 h 11, écrit-il dans son rapport, j’ai rencontré M. [Sterling] qui m’amena à la piscine extérieure et me montra une forme lumineuse au-dessus de l’hôtel. On me mentionna que l’objet s’était déplacé de l’hôtel de la bourse jusqu’au-dessus de l’hôtel Bonaventure.

« J’ai vu trois lumières rondes jaunâtres d’où partaient trois faisceaux. On pouvait dénoter une source lumineuse de forme circulaire. Cet objet lumineux était fixe et immobile.»v

La première réaction du policier est de contacter les aéroports de Dorval et de Mirabel. Mais les contrôleurs aériens lui assurent n’avoir rien d’insolite sur leurs écrans radars. Néanmoins, ils lui confirment avoir reçu plusieurs appels de citoyens au sujet de cet « OVNI » au-dessus de Montréal. Idem du côté de la base militaire de St-Hubert.vi Vers 20 h, le constable Lippé est rejoint par l’agent Robert Masson, un autre policier de la CUM.vii Comme son confrère, il reste bouche bée devant le phénomène. Il essaie de trouver une explication à ces étranges lumières. À son tour, il contacte les aéroports où on lui assure qu’il n’y a toujours rien sur les écrans radars. Il se tourne ensuite vers l’édifice voisin, en construction, lequel est surmonté d’une haute grue munie de puissants projecteurs. Se pourrait-il que par un curieux jeu de réflexion ces projecteurs soient à l’origine du phénomène ? L’agent Masson demande à ce que lesdits projecteurs soient éteints… mais cela ne change rien à l’OVNI.viii De plus en plus perplexes, les policiers décident de contacter leurs collègues de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le ciel étant de « juridiction » fédérale, peut-être ceux-ci sauront-ils quoi faire en pareil cas. À la section des enquêtes fédérales de la GRC, à Montréal, on les informe qu’il existe effectivement une « procédure » en matière d’OVNI et qu’un agent ne devrait plus tarder à débarquer à l’hôtel Hilton.ix

Entre temps l’histoire de l’OVNI commence à se répandre. On s’étonne tout de même que de la rue personne de réagisse outre mesure à la présence de ce phénomène qui doit être visible à des kilomètres à la ronde. Une employée de l’hôtel contact bientôt le quotidien La Presse et informe le chef de pupitre de la situation : « Il y a un OVNI au-dessus de l’hôtel ».x Sans trop y croire, le journaliste Marcel Laroche, qui termine son quart de travail, accepte d’y faire « un saut ». Lorsque le journaliste arrive sur place, le phénomène est toujours bien visible, quoiqu’en partie dissimulé dans les nuages. Il prend plusieurs photographies de l’OVNI à différents temps d’exposition. L’un de ces clichés deviendra l’une des pièces maîtresse au dossier.xi

À 21 h 30, l’agent Luc Morin de la GRC débarque à son tour à l’hôtel Hilton. À l’instar de ses collègues de la CUM, il ne peut que corroborer le phénomène, même si à ce moment-là les lumières ne sont plus que de faibles halos à l’intérieur des nuages.xii Le gendarme contacte Environnement Canada où on lui explique que le plafond nuageux — composé de nuages très opaques chargés de neige — fait entre 1200 et 1500 mètres d’épaisseur. Cette couverture, ajoute son correspondant, est passée au cours de la soirée de 1580 à 1100 mètres.xiii Ces informations se révèleront capitales pour évaluer l’altitude et les dimensions de l’OVNI. On l’informe également qu’il n’y a aucun orage magnétique rapporté pour la soirée.xiv L’absence d’orage magnétique combinée à un important plafond nuageux rend caduque la possibilité que l’OVNI observé ait pu être une aurore boréale. Les aurores boréales sont produites par les vents solaires qui, lorsqu’ils s’engouffrent dans l’atmosphère terrestre, par les pôles, ionisent l’air provoquant des phénomènes lumineux visibles, par temps clairs, jusqu’au États-Unis. En ionisant l’air, les vents solaires provoquent invariablement ce que les météorologues appellent des tempêtes magnétiques. L’agent Morin collige aussi les témoignages et dresse un procès-verbal destiné à être envoyé au Centre national de la recherche à Ottawa, comme le veut la procédure.

Enfin, un peu avant 23 h, les policiers et les curieux commencent à se disperser : l’OVNI n’est plus visible à travers les nuages… ou n’y est déjà plus.

En effet, à peu près au même moment, un résidant de Montréal, Pierre Caumartin, roule en direction est. Arrivé à la hauteur du stade olympique (quartier Hochelagas-Maisonneuve), il observe un objet étrange en forme de boomerang. L’objet se déplace lentement et sa luminosité est si grande qu’elle éclaire l’intérieur de sa voiture. Arrivé chez lui (secteur Longue-Pointe), M. Caumartin regarde l’objet évoluer au-dessus de la station hydroélectrique locale (120,000 volts). L’objet émet un bruit régulier, une sorte de modulation comme « un moteur qui force ». Il disparaît bientôt dans les nuages. L’observation aura durée de 10 à 15 minutes.xv

Ni l’incident de la Place Bonaventure ni l’observation de M. Caumartin de fera l’objet d’une enquête officielle.

Dans les jours qui suivent, « l’OVNI de la Place Bonaventure » — comme l’ont baptisé les médias — est sur toutes les lèvres. Les journaux locaux lui consacrent de nombreux articles et les tribunes radiophoniques en font leur sujet de l’heure. C’est à ce moment-là qu’entre en scène un homme d’affaires montréalais : Bernard Guénette, lui-même témoin du phénomène.xvi

Guénette, qui s’intéresse personnellement aux OVNIS, entreprend de rassembler un maximum d’information sur l’incident. Grâce à la collaboration des services de police, de la gendarmerie et des services publics (comme Hydro-Québec, Bell Canada et Environnement Canada), l’homme d’affaires est en mesure de produire un dossier des plus étoffés sur la manifestation. Ces documents — parmi lesquels se trouvent les photographies originales du journaliste Marcel Laroche — sont ensuite envoyés pour analyse au Dr Richard Haines, en Californie.xvii

Richard Haines est un spécialiste de l’optique et consultant pour le laboratoire AMES de la NASA. Il a notamment développé des modèles d’arrimage pour les programmes des vols habités Gemini et Apollo.xviii Le Dr Haines est également bien connu des amateurs d’OVNIS. Il a écrit plusieurs livres sur le sujet, faisant des « rencontres » entre OVNIS et pilotes (civils ou militaires) sa grande spécialité. Pendant des mois, le scientifique va étudier toutes les données relatives à « l’OVNI de la Place Bonaventure ». Il va entre autres soumettre l’une des photographies de Marcel Laroche aux mêmes analyses que celles auxquelles sont soumis les clichés pris par les sondes planétaires de la NASA.

L’étude, intitulée Details Surrounding a Large Stationary Aerial Object Above Montreal (Informations relatives à un grand objet volant et stationnaire au-dessus de Montréal) est publiée au printemps de 1992. Le Dr Haines y reprend la chronologie des événements, expliquant comment l’objet est passé d’une couronne lumineuse à deux lumières blafardes, et ce au fur et à mesure que descendait sur Montréal un important plafond nuageux.xix Ce mouvement des nuages étant connu — grâce aux informations d’Environnement Canada — l’auteur concluent que l’objet évoluait à une altitude de 1060 à 2700 mètres et que son diamètre, d’après l’évaluation la plus conservatrice, était de 540 mètres, soit l’équivalent de cinq terrains de football.xx

L’analyse de la photographie de Marcel Laroche, numérisée à l’aide du procédé Nu-Vision, prouve que les lumières n’étaient pas des reflets lumineux, mais émanaient bel et bien d’un objet physique à trois dimensions.xxi

L’étude met aussi un terme à plusieurs spéculations. À ceux qui croyaient que l’OVNI pouvait être une aurore boréale d’un type particulier, la présence d’un important plafond nuageux (entre 1200 et 1500 mètres d’épaisseur) va à l’encontre de cette interprétation. Cette même couverture nuageuse élimine la possibilité que l’OVNI ait pu être un phénomène astronomique quelconque.

L’étude du Dr Haines conclut que « l’évidence attestant l’existence d’un grand objet volant insolite et silencieux au-dessus de Montréal est tout à fait indiscutable et que l’objet demeure jusqu’à maintenant non identifié ».xxii

Mais l’aspect « non identifié » de l’OVNI n’est pas la seule interrogation dans ce dossier. Comment expliquer le laxisme des autorités ? Pourquoi n’a-t-on pas envoyé un avion ou un hélicoptère pour déterminer la nature de l’objet ? Comment expliquer aussi le désintéressement des autorités militaires ? Avec l’OVNI de la Place Bonaventure on ne parle plus d’une apparition fugace au-dessus d’une région rurale, mais d’un objet géant au-dessus d’une métropole comptant un million d’habitants et qui de surcroît est demeuré visible pendant près de trois heures ! Pourtant rien n’a été fait pour identifier l’objet.1 Dans son rapport, le Dr Haines commente :

« En résumé, tous les observateurs professionnels ont observé ce grand objet lumineux et stationnaire pendant une période allant de 1 à 2½ heures et aucun d’entre eux n’a été en mesure d’obtenir une preuve solide de sa présence, qu’il s’agisse d’une preuve photographique, magnétique, de radio fréquence ou de radiation par micro-ondes. Aucun d’entre eux n’a demandé non plus l’envoi d’un aéronef pour jauger de la nature de l’objet.2 On peut se demander combien de temps un phénomène aérien inhabituel doit-il demeurer visible pour déclencher une analyse scientifique et/ou technique ? Voilà une autre bonne raison pour laquelle la science traditionnelle ne s’intéresse pas à l’étude des OVNIS. »xxiii

L’OVNI de la Place Bonaventure a aussi donné lieu à une décevante démonstration médiatique de « l’argument d’autorité ». Dans des affaires semblables, les médias acceptent trop facilement les soi-disant explications d’experts qui ne connaissent souvent rien au dossier mais qui justifient leur intervention au nom de leur(s) diplôme(s). C’est ainsi qu’on a vu un imminent astronome du Planétarium de Montréal (Pierre Chasteney) expliquer lors d’une populaire émission de télévision que « l’OVNI de la Place Bonaventure n’étaient que les reflets [sur les nuages] des lumières provenant du chantier [voisin] du 1000 rue de la Gauchetière ».xxiv Cette déclaration, venant d’une « autorité scientifique », a fermé ipso facto la porte à toute enquête subséquente. Une bêtise qui aurait pu être évitée si l’astronome en question s’était donné la peine le lire le rapport de l’agent Lippé de la police de la CUM plutôt que de se faire le fossoyeur d’une observation extraordinaire.

« Croyant qu’il pourrait s’agir des faisceaux lumineux qui pourraient provenir du chantier de construction du 1000 de la Gauchetière (gare STRSM), Ref : Grue illuminée par de gros projecteurs, nous avons fait éteindre ces projecteurs. Après que tout soit éteint, on pouvait encore remarquer deux faisceaux lumineux au même endroit que l’objet observé ».xxv

Par le nombre et la qualité des témoins, mais aussi par l’étude du Dr Haines, l’observation de la Place Bonaventure jouit d’une position très particulière dans l’histoire des OVNIS au Canada. Plus encore, par sa durée et la dimension de l’OVNI, elle est presque unique dans les annales, tant ici qu’à l’étranger. Dommage que les autorités canadiennes n’aient pas su en tirer profit… Aujourd’hui, l’énigme des OVNIS serait peut-être chose du passé !

 

1 Cette version officielle est contredite par l’agent Robert Masson du Service de police de la ville de Montréal (Voir entrevue avec Robert Masson)

2 Lors d’une conversation avec l’agent Luc Morin de la GRC, celui-ci m’a confié qu’il avait évoqué avec ses supérieurs la possibilité d’envoyer un hélicoptère pour déterminer la nature de l’objet. Malheureusement, le seul appareil de la GRC disponible à ce moment-là était gardé en « disponibilité » (stand by) pour parer aux trafics illicites suspectés sur la réserve amérindienne de Kanesatake (au nord de Montréal). Il faut se rappeler que l’incident de l’hôtel Bonaventure s’est produit en plein durant la fameuse « crise amérindienne » qui a secoué tout le Québec à partir de l’été 1990. Il est possible aussi que des appareils F-16 de l’armée canadienne aient été envoyés en reconnaissance. Malheureusement, pour des raisons de « secret-défense », les autorités n’ont jamais confirmé cette intervention (voir à ce propos l’entrevue avec le commandant Robert Masson de la police de Montréal).

i Richard F. Haines & Bernard Guénette, Details Surrounding a Large Stationary Aerial Object Above Montreal (1992), pp.2-3

ii Un OVNI dans le ciel de Montréal (La Presse, 8 novembre 1990)

iii Rapport de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), 13 novembre 1990

iv Rapport de la police de la CUM, 7 novembre 1990

v Rapport de la police de la CUM, 7 novembre 1990

vi Rapport de la police de la CUM, 7 novembre 1990

vii Rapport de la police de la CUM, 7 novembre 1990

viii Entrevue avec l’agent Robert Masson réalisée le 21 avril 2005

ix Rapport de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), 13 novembre 1990

x Richard F. Haines & Bernard Guénette, Details Surrounding a Large Stationary Aerial Object Above Montreal (1992), p. 2

xi Richard F. Haines & Bernard Guénette, Details Surrounding a Large Stationary Aerial Object Above Montreal (1992), p. 3

xii Rapport de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), 13 novembre 1990

xiii Rapport de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), 13 novembre 1990

xiv Rapport de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), 13 novembre 1990

xv Richard F. Haines & Bernard Guénette, Details Surrounding a Large Stationary Aerial Object Above Montreal (1992), p. 5

xvi Richard F. Haines & Bernard Guénette, Details Surrounding a Large Stationary Aerial Object Above Montreal (1992), p. 2

xvii Entrevue avec Bernard Guénette, le 3 avril 1991

xviii Ronald D. Story, The Encyclopedia of Extraterrestrial Encounters (New American Library, 2001), p. 238

xix Richard F. Haines & Bernard Guénette, Details Surrounding a Large Stationary Aerial Object Above Montreal (1992), pp. 2-10

xx Richard F. Haines & Bernard Guénette, Details Surrounding a Large Stationary Aerial Object Above Montreal (1992), p. 18

xxi Richard F. Haines & Bernard Guénette, Details Surrounding a Large Stationary Aerial Object Above Montreal (1992), p. 15

xxii Richard F. Haines & Bernard Guénette, Details Surrounding a Large Stationary Aerial Object Above Montreal (1992), p. 23

xxiii Richard F. Haines & Bernard Guénette, Details Surrounding a Large Stationary Aerial Object Above Montreal (1992), p. 5

xxiv Claire Lamarche, Croyez-vous aux extraterrestres (TVA), octobre 1991

xxv Rapport de la police de la CUM, 7 novembre 1990

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